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L’oxymore est cette figure de style qui allie deux mots de sens contraires, pour frapper le lecteur d’une sorte de dissonance expressive, tantôt poétique (« le soleil noir de la mélancolie »), tantôt ironique (« une sublime horreur »).

Mais l’emploi du procédé n’obéit pas toujours à des intentions littéraires. Dans les discours de propagande, l’objectif est trop souvent de tromper les bonnes âmes en affectant de concilier l’inconciliable : il suffit en effet, pour absoudre un substantif suspect, de lui accoler un adjectif à vocation prophylactique. Ainsi sont nées la « guerre propre » et ses « frappes chirurgicales ». Les sordides réalités de la domination ou de l’exploitation se trouvent alors « blanchies » par l’artifice de mots qui ne changent rien aux choses...

La règle, chaque fois qu’on trouve alliés deux termes antinomiques, est donc d’observer lequel récupère l’autre. Dans le cadre de la mondialisation actuelle par exemple, la vogue du « commerce équitable » apparaît comme une astucieuse chimère destinée à abuser ceux qui veulent ignorer la férocité de la compétition économique : à l’ère de la marchandisation du monde, le commerce n’est-il pas précisément d’autant plus florissant qu’il est inéquitable ?

Même chose avec l’idéal d’une « consommation solidaire ». Cette formule, séduisante pour l’homme de bonne foi, fait croire qu’on va corriger les inégalités économiques par la vertu d’un adjectif réhabilitant. Or, la logique de la « société de consommation » (que ses « penseurs » voudraient planétaire) est de cultiver un hédonisme individualiste qui identifie supériorité sociale et surconsommation. L’égoïsme, la « hiérarchite », en sont le moteur essentiel. En appeler dès lors à une consommation solidaire, ou encore citoyenne, et la vouloir mondiale, c’est conforter l’illusion selon laquelle on peut supprimer l’injustice inhérente au système sans changer le système.

Quant aux « investissements éthiques » à la mode, on a vu comment, par la grâce d’un qualificatif vertueux, ils « purifient » la substantielle matérialité des profits récoltés.

Mais c’est peut-être avec le « capitalisme syndical » de Nicole Notat, dernier avatar du « capitalisme à visage humain », que nous atteignons le sommet, l’oxymore des oxymores. Il fallait associer des termes aussi historiquement conflictuels, à l’occasion du débat sur les retraites et des fonds de pension à la française...

Cependant, la vogue de l’oxymore ne doit pas nous cacher la permanence de la tautologie, autre figure basique des discours aliénants.

La tautologie est cette figure de style qui consiste à définir un mot par lui-même , ou par une expression de type pléonastique (« un étudiant c’est un étudiant » ; ou « c’est quelqu’un qui étudie »). Mais souvent, sous couvert d’énoncer une évidence, la tautologie ne répète le mot que pour imposer comme une essence la chose à laquelle il renvoie : l’auditeur ne peut que s’incliner sans comprendre. Ainsi, dans des énoncés comme « la France c’est la France » ou « Une femme c’est une femme », le « c’est » équivaut à un « doit être », il n’y a pas à discuter. De même, lorsque le général de Gaulle fustige les acteurs de « mai 68 » qui empêchent « les étudiants d’étudier, les enseignants d’enseigner, les travailleurs de travailler », il défend l’ordre établi en le fondant sur des essences immuables, par la grâce de la tautologie (allocution du 30-05-1968).

Ce discours demeure largement au service de l’idéologie, aujourd’hui. L’expression « développement durable », à mon sens, est peut-être plus proche de la tautologie que de l’oxymore (elle signifie : le vrai développement c’est le développement). En ce qui concerne les publicités, on appréciera à quel point les slogans suivants renseignent sur la nature concrète des produits :

« Sa Supercinq, plus cinq que la cinq », « 205 GTI, plus GTI que jamais », « Café Grand-Mère : Noir c’est Noir », « Il est seul parce qu’il est unique »

Chez les politiciens, les tautologies demeurent une valeur sûre :

Giscard (proposant le changement) :« Le changement pourquoi ? Parce que le monde change, parce que le temps change, parce que vous changez et que la politique française doit s’adapter à ce changement. » ;

Fabius (se différenciant de Mitterrand) : « Lui, c’est lui ; moi, c’est moi » ;

Mitterrand (tautologie au second degré) : « Sans tomber dans un excès de réalisme, c’est tout de même la moindre des choses de considérer que l’Allemagne est en Europe » (25-03-90) ;

Chirac : « Un chef c’est fait pour cheffer » (bêtisier Internet) ;

Raffarin : « Les jeunes sont destinés à devenir des adultes » (bêtisier Internet).

Il est bien d’autres tautologies dans l’univers politique, par exemple ce fameux slogan inventé par des publicitaires pour nous faire ratifier l’euro : « Je suis en Europe, donc je pense en Euro », ou cette déclaration d’un Premier ministre néerlandais à propos de la guerre d’Afganistan : « Personne ne souhaite que les opérations militaires se prolongent au-delà de ce qui est nécessaire. » (5-11-2001)

Et Jospin ? J’allais l’oublier. Il faut noter que son discours ne donnait pas dans le simili-gaullien. Il pratiquait plutôt le langage techno-compétent, comme par exemple dans cette présentation d’un remaniement ministériel : « J’aurai à procéder à certains ajustements pour renforcer le dispositif gouvernemental. C’est une respiration normale en démocratie. » (25-03-2000). Langage « fonctionnel » : ajustement, dispositif. Langage « bio-naturel » : respiration normale. Deux manières d’évacuer toute explication de nature politique... Est-ce bien « normal » ?

Ce texte est un extrait de De l’idéologie aujourd’hui, François Brune, éd Parangon, 2004. Reproduit ici avec l’aimable autorisation de l’auteur.

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